La responsabilité des influenceurs faisant la promotion de crypto-actifs

Condamnation de Nabilla par la DGCCRF pour pratiques commerciales trompeuses autour du Bitcoin, scandales liés à l’agence Shauna Events…


Ces derniers mois voire ces dernières années, le sulfureux business des influenceurs a été l’objet d’un éclairage peu flatteur : promotion de paris sportifs, produits contrefaits et même, crypto-monnaies.


En 2021, notre ministre des finances Bruno Le Maire alertait sur les dérives liées au manque de transparence des influenceurs sur leurs liens d’influence avec les entreprises dont ils assurent la promotion:

Aurélien Téché, député écologiste d’ailleurs relancé le débat ces derniers jours en déposant une proposition de loi visant à encadrer les pratiques des influenceurs dans un objectif de protection des consommateurs.


Mais au-delà du buzz politique, qu’en est-il réellement ? Les pratiques des influenceurs sont-elles réellement en dehors de tout cadre législatif ou celui-ci est-il simplement mal appliqué ? Il existe déjà, en réalité, un arsenal législatif qui semble à même de réguler l’activité des influenceurs.


Cet article sera tout particulièrement consacré à la promotion de services liés aux crypto-actifs, le Règlement MiCA ayant apporté du nouveau sur ce sujet hautement polémique.

I. La publicité de services sur crypto-actifs et le droit pénal

L’article 313-1 du Code pénal énonce que l’escroquerie « est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ».


Pour qu’il y ait manœuvres frauduleuses au sens de la jurisprudence, il faut une véritable mise en scène, par exemple par l’intermédiaire de faux documents, ou d’un tiers qui va intentionnellement tromper la victime.

Dans le cas des influenceurs, comment l’arnaque se construit-elle le plus souvent ?

L’influenceur est représenté par un agence qui va lui faire une proposition de contrat, ou bien l’influenceur va conclure ce contrat sans intermédiaire. Dans les deux cas, il s’agit d’un contrat de prestations de services promotionnels qui va permettre à une marque, ou une entreprise, de toucher un public plus large.

Les influenceurs ne s’intéressent que rarement à la qualité des produits dont ils vantent les mérites, bien que le contrat prévoit en principe une « dotation » (produit en cadeau) avec des consignes d’utilisation et de promotion précises relatives au produit.


Par conséquent les influenceurs se trouvent bien souvent dans le spectre de la négligence plus ou moins caractérisée en raison de leur méconnaissance des règles en la matière, mais beaucoup plus rarement dans le cadre d’une intention malveillante.

S’ils sont malgré eux rabatteurs pour des entités qui peuvent être dans l’illégalité, on ne peut pas parler de complicité d’escroquerie en l’absence d’élément intentionnel.

La sanction au titre de la complicité d’escroquerie est de 5 ans de prison et 375 000 euros d’amende, ce qui incite tout de même à la prudence.


II. La publicité de services sur crypto-actifs et le droit de la consommation


La responsabilité des influenceurs peut cependant être engagée sur d’autres terrains bien plus glissants.

Compte tenu des importantes rémunérations qu’ils retirent de leur activité, les influenceurs ont pour la plupart le statut de professionnels au sens du Code de la consommation c’est-à-dire « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ».


Or, les professionnels ont de nombreuses obligations vis-à-vis à des consommateurs, parmi lesquelles, la loyauté et la transparence dans l’information qui leur est donnée.

Dans le secteur des crypto-actifs, il n’est pas rare de voir certains influenceurs donner des conseils sur actifs numériques et pire, vanter les mérites de sociétés dans lesquelles ils ont des participations directes ou indirectes, sans jamais communiquer cette information à leurs abonnés.

Sur une série de vidéos hébergées par la plateforme Youtube, par exemple, un influenceur bien connu fait ainsi la promotion d’une entreprise prestataire d’aide à la déclaration fiscale dont il détient des parts indirectement, en communiquant un lien d’affiliation à ses abonnés, sans jamais évoquer une seule fois ce lien capitalistique.

Ce « mélange des genres » doit appeler à une certaine vigilance, car au-delà du conflit d’intérêts, le Code de la consommation interdit les « pratiques commerciales trompeuses », sanctionnées de deux ans de prison, pouvant être portée à sept ans dans certains cas, ainsi que d’une amende (art. L 132-2 du Code de la consommation).

L’article L 121-2 du Code de la consommation donne plusieurs définitions des pratiques commerciales trompeuses, parmi lesquelles des « allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur ». Il peut s’agir ici d’informations fausses, mais pas nécessairement. La tromperie peut en effet également résulter du fait de jouer sur les mots, sans que les informations communiquées ne soient fausses mais utilisant des formules ou des présentations susceptibles d’être mal interprétées par le public.

Ainsi, un influenceur qui fait la promotion d’un produit ou d’un service dans lequel il a des intérêts financiers, sans révéler ce lien d’influence aux consommateurs, serait passible des sanctions au titre des pratiques commerciales trompeuses.


C’est d’ailleurs sur ce fondement que Nabilla a été condamnée à une amende de 20 000 euros par la DGCCRF pour avoir indiqué que le bitcoin « c’est un peu la nouvelle monnaie, genre la monnaie du futur », « c’est comme un investissement parce que c’est de l’argent qu’on peut toujours récupérer ».


III. La publicité sur crypto-actifs et la règlementation financière


Dans certaines circonstances, les influenceurs pourraient-ils tomber sous le coup du « démarchage illicite » ?

Le démarchage bancaire et financier illicite est « toute prise de contact non sollicitée » (art. L 341-1 du Code monétaire et financier) et sans y avoir été autorisé, « par quelque moyen que ce soit, une personne physique ou une personne morale déterminée, en vue d’obtenir, de sa part, un accord sur » une série de produits financiers et assimilés, notamment :

« 8° La réalisation d’une opération sur un des actifs numériques mentionnés à l’article L. 54-10-1, notamment dans le cadre d’une offre au public de jetons au sens de l’article L. 552-3 ;
9° La fourniture d’un service sur actifs numériques au sens de l’article L. 54-10-2. »

Le simple fait de diffuser une information publicitaire n’est pas sanctionnée, en tout cas pas par ce biais. Cependant, il en irait autrement pour l’influenceur qui répondrait directement à ses abonnés dans les commentaires d’une vidéo.


A noter que la sanction du démarchage illicite est la même que celle au titre de la complicité d’escroquerie.


Par ailleurs, le Code de la consommation interdit spécifiquement (en lien avec la règlementation propre aux prestataires de services prévues aux articles L.54-10-1 et suivants du Code monétaire et financier) certains actes positifs en faveur des services sur crypto-actifs et notamment, « toute publicité, directe ou indirecte, diffusée par voie électronique ayant pour objet d’inviter une personne, par le biais d’un formulaire de réponse ou de contact, à demander ou à fournir des informations complémentaires, ou à établir une relation avec l’annonceur, en vue d’obtenir son accord pour la réalisation d’une opération relative à »(des services sur actifs numériques) » (article L 222-16-1) et toute opération de parrainage d’un service sur actifs numériques (article L 222-16-2), étant rappelé que le parrain est défini comme toute « Personne physique ou morale qui apporte un soutien matériel une manifestation, à une personne, à un produit ou à une organisation en vue d’en retirer un bénéfice direct » (définition de l’arrêté du 6 janvier 1989 sur la terminologie économique, juridique et financière).


Par conséquent, la promotion des services sur crypto-actifs est formellement interdite, notamment par le biais de liens d’affiliation qui peuvent être considérés comme une opération de parrainage.


Mais le Règlement MiCA qui, pour rappel, va venir encadrer au niveau européen les services sur crypto-actifs et sera transposé en droit français dans un horizon de deux ans, va plus loin. Dans un chapitre consacré aux abus et manipulations de marché, le Règlement prévoit qu’il sera désormais interdit de « profiter d’un accès occasionnel ou régulier aux médias traditionnels ou électroniques pour exprimer une opinion sur un crypto-actif, tout en ayant précédemment pris position sur ce crypto-actif, et profiter ensuite de l’impact des opinions exprimées sur le prix de ce crypto-actif, sans avoir simultanément divulgué ce conflit d’intérêts au public de manière appropriée et efficace ».


Pour conclure, on voit bien que le corpus législatif actuel est de nature à apporter une réponse proportionnée aux dérives qu’on peut constater chez certains influenceurs. La vraie difficulté se situe semble-t-il dans la mise en œuvre des sanctions par les autorités (DGCCRF ou parquet financier, en fonction des infractions), dans le monde de l’éphémère, où la plupart des contenus incriminants peuvent être rapidement supprimés.

Maître Marina CARRIER

HALT AVOCATS, c’est tout d’abord la rencontre d’avocats passionnés par l’univers des nouvelles technologies. Découvrant la Blockchain en 2016, ils ont expérimenté cet univers fascinant et développé une expertise de pointe en droit fiscal, droit financier, et droit du numérique. Les entrepreneurs du Digital sont des aventuriers qui osent la prise de risque. Ils ont besoin d’avocats créatifs, visionnaires et pragmatiques. C’est dans cet esprit que Maître CARRIER et Maître MARTIN ont fondé le cabinet HALT, afin de réunir leur savoir-faire et leur expérience acquise au service de l’économie digitale.

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